jeudi 8 mai 2014

Fabrice Guénier

"Déshabillées, léchées, manipulées, prises, embrassées, retournées, attachées, enfilées, aimées. Acceptant tout. Prenant tout. Prenant tous ces largués, qui débarquent dans cette ville en forme de décharge industrielle délocalisée ; cette casse à ciel ouvert où l'occident pudique déverse, en se bouchant le nez, ses mâles cassés, ses accidentés domestiques, ses divorcés dépressifs, ses seniors défoncés au viagra. Ces rêveurs, ces vulgaires, ces frustrés. Tous ces grands cons avec leurs économies, leur envie d'aimer, d'être aimés. Leur besoin d'être touchés. C'est Lourdes. Et comme à Lourdes, on ne regarde pas si le malade a des bras. S'il sent bon. S'il est beau. Ni même s'il est aimable." Fabrice Guénier (Les saintes)

"Cette ville correspond à ce qu'on t'a promis de l'amour moderne : un droit. Une trajectoire individuelle. Une confirmation narcissique. L'égalité des chances. Bienvenue les cassés, les prolos, les vieux, les obèses, les nains. Bienvenue les laids, les fauteuils roulants, les baltringues, les mal baisés, les mauvais baiseurs, les coincés. Tout le monde peut avoir ce qui est en vitrine. Comme si ces filles étaient capables d'une compassion hors du commun pour toutes ces infirmités. Ou comme si elles n'en voyaient aucune." Fabrice Guénier (Les saintes)

"Vouloir être ses lèvres. Son souffle. Vouloir être son dos, sa peau. Le duvet de ses reins. Vouloir être ses nerfs, ses veines, ses cils. Ses yeux qui demandent, les draps où je la vois. Vouloir être la nuit autour. Sa fatigue. Vouloir être mes doigts dans sa bouche." Fabrice Guénier (Les saintes)

"Comme si les corps marchandés, le temps compté, les instants pesés étaient la seule sincérité possible, comme si ces étreintes artificielles étaient les seules qui soient honnêtes. Sans mensonges, ni illusions. Comme si les arrangements étaient les seuls envisageables, chacun ayant par avance tout abandonné." Fabrice Guénier (Les Saintes)


"Ce n'est pas tant le sexe qui m'intéressait, que les filles qu'il y avait derrière. C'était leur cirque qui m'allumait. Leurs rires. Leurs copines. Leurs robes. Leurs culottes de trois grammes, leurs sacs de prestidigitatrices. Leur légèreté. Leurs violons, l'amour avec une majuscule. Leur confiance. L'énergie. Leurs larmes, vraies ou fausses. Leur drôlerie. Leurs faux cils. Leurs grimaces, leur parfum. La danse. Cette comédie simple et compliquée." Fabrice Guénier (les saintes)

"Elle construisait des châteaux dans tous les cœurs. En la voyant, tout le monde se sentait très seul. En la voyant, tout le monde avait marché sur une mine. En la regardant, tout le monde rêvait de l'emporter, pour épeler le mot pornographie toute la nuit. Elle remuait un gisement d'affects oubliés, comme un tapis mouvant de reptiles hypnotisés." Fabrice Guénier (les saintes)

"Notre vie : les gens interchangeables, les familles éclatées, le trafic des sentiments. On marchait. Ne rien voir. Ne rien comprendre. Recommencer. Agitons nos moignons, exhibons nos sourires édentés. Amnésiques, l'amour devant, cet amour maladif, souffreteux. Le goudron et les plumes. On marchait. Les yeux crevés. La figure de l'amour romantique n'était qu'une manière de nous maintenir dans des désirs de jardins de banlieue et de crédit à taux zéro. Une façon destructivement simple de croire que les écrans plats, les baignoires balnéo, les voitures toutes options ou les torchons assortie étaient aussi importants que la musique, la solitude ou la mer." Fabrice Guénier (les saintes)

"Elles arrivaient vers seize ans. On sous-estime la force de l'adolescence, la force qu'il faut pour faire face à tout ce qui survient. L'enfance qui s'éloigne inexorablement, sans espoir de retour de tout ce qu'on abandonne, que l'on devine devine devoir regretter toujours. Cette avancée vers l'âge adulte dont on devine la médiocrité." Fabrice Guénier (Ann)

"On s'efforce souvent d'atteindre une unicité ; une cohérence qui serait nous, alors que notre richesse se situe plus sûrement dans l'acceptation du mouvement, du chaos, de l'impermanence." Fabrice Guénier (Ann)

"Dans la glace, mon reflet trop éclairé me rendait le regard d'un vieil occidental usé au chevet de sa poupée brisée.
Sarcophage. Princesse percée sur un lit de fer, que les baisers ne réveilleraient pas. Traversée. Dans l'esseulement absolu de la souffrance."

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