mercredi 30 mai 2018

Arthur Arnould

Extraits de : Histoire populaire et parlementaire de la commune de Paris (1873) :

"Quand la bourgeoisie a fait ou laissé faire une révolution, son premier mouvement est de se retourner pour regarder, avec terreur et menace, le peuple qui la suit. Le rejeter sous le joug dont elle s'est affranchie avec son appui, devient sa seule préoccupation."

"Amiral ou général, tout ça se vaut ! Attendre de ces gens-là une folie héroïque, ou seulement une initiative quelconque, c'est peine perdue.
L'habitude d'obéir et de commander a complètement oblitéré chez eux le sens moral. Ils ont un honneur qui n'est pas l'honneur, et qui s'appelle honneur militaire. Pourvu qu'ils rendent leur épée d'après certaines règles prévues par leur Code, cet honneur est sauf et leur conscience satisfaite.
Leur courage également est un courage à part, qui s'appelle le courage militaire. Ce courage consiste à ne point baisser la tête quand les obus sifflent aux oreilles ; mais il doit cesser aussitôt qu'à certaines murailles il y a certaines brêches de tant de centimètres carrés. 
Leur demander un autre courage  est un autre honneur, sauf exception, cela va sans dire, c'est comme si l'on demandait au laquais qu'on paie, de l'affection pour ses maîtres, en plus des services qu'il est tenu de leur rendre.
Quand il a frotté l'appartement, ou pansé les chevaux de Monsieur, que Monsieur agonise, s'il veut, le laquais a rempli son devoir, et il court se griser à l'office.
Quand une garnison a envoyé et reçu un nombre d'obus, elle a rempli son devoir, et les officiers peuvent se promener, l'air fendant, la moustache en croc, sur les ruines de la France avilie et mourante."

"Rien, en effet, ne peut rendre compte du néant moral et intellectuel de ces paysans qu'on arrache ignorants à leur charrue, pour les soumettre au régime immoral et stupéfiant de la caserne. Sur ce sauvageon, auquel nulle culture n'a fait pousser de fruits, la discipline militaire a greffé l'idiotisme et l'avilissement. Pour en faire une bête féroce, il ne manque plus que l'odeur de la poudre, la peur et quelques verres d'eau de vie."

"Il venait de constater que la police n'est bien faite que par les habitants de la cité, que la police organisée en dehors d'eux ne sert qu'à molester les citoyens, qu'à inventer des complots lorsque le pouvoir en a besoin pour retremper sa popularité ou supprimer ses adversaires ; qu'elle est une menace perpétuelle à la liberté des honnêtes gens, une atteinte permanente à la dignité de l'individu toujours exposé à subir ses caprices avilissants, ses insultes et des violences intéressées."

"Tout  à coup, il apprit que lui, le cerveau puissant, il serait obligé de rentrer dans la geôle intellectuelle où l'ignorance et une tyrannie savante ont, jusqu'à présent, parqué les populations des campagnes, illettrées, menées par le curé, à genoux devant le garde-champêtre représentant du maire, qui représente le préfet, qui représente le pouvoir central, qui représente le principe d'autorité, qui représente le passé, c'est à dire la force maîtresse du droit, l'esclavage politique, social et moral, la violence, la misère, le privilège."

"La Révolution avait décrété la liberté de penser et l'égalité devant la loi. Pour que ces grands principes ne fussent pas de vains mots, il fallait que le peuple apprît à penser et devint apte à jouir de cette égalité inscrite dans le Code, mais l'ignorance et le servage du travail livré sans garantie au capital omnipotent, ont mis hors de sa portée. 
L’œuvre de tous les gouvernements, depuis thermidor, fut de maintenir cette inégalité économique et cette inégalité de niveau intellectuel qui rendait dérisoire pour la masse, l'égalité politique dont on faisait si grand bruit. 
Le droit théorique est une fort belle chose... dans les livres et dans les Constitutions, mais, en réalité, ce n'est rien, si je suis dépossédé de la faculté, de la possibilité d'en user. 
Or, pour un homme privé d'une certaine instruction, pour un homme astreint à l'esclavage de la misère par le salariat qui ne lui laisse aucun moyen matériel ni moral d'améliorer sa situation, il n'y a ni liberté, ni égalité. Dans de semblables conditions, la souveraineté populaire est un mensonge, le suffrage universel une duperie, plus dangereuse peut-être que la brutalité cynique des anciennes lois franchement négatives.
La révolution économique ou sociale n'ayant pas suivi immédiatement la Révolution politique, et la direction étant passée des mains de la noblesse de naissance aux mains des possesseurs d'écus, il en résulta que les nouveaux maîtres s'appliquèrent, par tous les moyens possibles, à maintenir ces différences de niveau intellectuel qui, dans les sociétés modernes, remplacent la division par castes.
Au lieu d'avoir trois degrés dans l’État, noblesse, clergé, tiers-Etat, on eut deux grandes divisions : les lettrés et les ignorants, les riches et les pauvres."

"Proclamer la république, n'est rien. Le tout est de la fonder, et elle ne se fondera que sur le terrain des réformes socialistes, qu'à la suite d'un remaniement complet de toutes nos institutions. Or, ce remaniement ne sortira jamais probablement des délibérations d'une assemblée de représentants qui, nommés en vertu de la centralisation et de la dictature de l’État, discuteront, promulgueront une Constitution comme nous en avons eu déjà deux ou trois douzaine - qui, devenus gouvernement, par le fait de leur nomination, resteront gouvernement, c'est à dire partageront du plus au moins les préjugés de tous les gouvernements, en adopteront les errements sous de nouvelles étiquettes, - au mieux aller créeront, à côté de l'ancienne ornière, une nouvelle ornière où chavirera l'avenir démocratique."

"Que l'on compare avec la férocité implacable, la monomanie sanguinaire des modérés, des hommes d'ordre, des sauveurs de société, chaque fois que leurs ennemis tombent en leur pouvoir."

"Tant qu'il y aura quelque par un pouvoir fort et centralisateur chargé de régler d'une façon autocratique les destinées du peuple et la constitution du pays, nous assisterons à ce spectacle affligeant, désespérant. On aura beau envoyer à la tête de ce gouvernement des hommes nouveaux, imbus des idées les plus révolutionnaires,  dès qu'ils seront au pouvoir, la machine les prendra, les entraînera. Ils deviendront les adversaires de la libre expansion des groupes naturels, ils légiféreront, ils réglementeront, ils gouverneront, ils seront, en un mot, par situation, les adversaires du peuple. Ce nouveau gouvernement, composez-le exclusivement d'ouvriers, de représentants de la classe travailleuse, cela ne changera rien à la réalité des choses. Ce qu'il faut changer, encore une fois, ce ne sont pas seulement les hommes, ce sont les institutions, c'est le principe même sur lequel repose toute la machine sociale"

"Si vous avez une assemblée au lieu d'un roi, ce sera l'assemblée qui fera la dictature ; et vous ne serez pas plus libres."

"Tout est permis aux maîtres, rien aux esclaves. Venant des exploiteurs, tout est légitime. Venant des exploités, tout est crime." (p119)

"On a pas le droit de prêcher la Révolution, d'indiquer le but au peuple, pour, le jour venu de la bataille, se retirer chez soi et s'abstenir sous prétexte que le jour est mal choisi, que les circonstances sont mauvaises, que la défaite est probable."

"L'homme n'est complet, en nos jours troublés, que s'il est armé. Tout peuple désarmé est esclave, puisqu'il est à la merci de la force."

"On s'imagine facilement que ce pouvoir est révolutionnaire, parce que soi-même on est révolutionnaire, et le plaisir de se sentir maître à son tour achève de nous aveugler."

"Que les femmes ne l'oublient pas ! Qu'elles se rappellent qu'elles n'arriveront à la place vraiment digne, équitable, honorable, qui leur appartient, que par la Révolution sociale, et que demander, comme le font quelque-unes, leur affranchissement en séparant leur cause de celle de tous les faibles, de tous les exploités, de tous les opprimés, c'est accomplir une désertion coupable, c'est tourner le dos au but poursuivi. Le mépris de la femme, son asservissement aux caprices et aux plaisirs de l'homme, son maintien sous une tutelle avilissante, sont œuvre de jouisseurs, non de travailleurs. La femme ne sera ce qu'elle doit être, n'aura les droits qu'elle doit avoir, sans sortir de sa nature et de son rôle, que le jour où la société réformée ne laissera plus subsister aucun abus de la force, proclamera l'équivalence des devoirs et des fonctions. Comment celui qui exploite l'homme, qui le ravale à l'état de machine, de serf du salaire, aurait-il le respect de la femme ? Comment celui qui ne voit, dans la majorité de ses semblables, que les instruments sacrifiés de sa fortune, verrait-il dans la femme autre chose qu'un instrument de plaisir, qu'on encense et qu'on foule aux pieds ?"

"Une mesure n'est pas révolutionnaire parce qu'elle est violente. Elle est révolutionnaire, si elle est de nature à amener le triomphe de la Révolution."

"Pendant l'Empire, j'avais réclamé la liberté de la presse, et déclaré que cette liberté était un droit absolu, primordial, naturel, de même que le droit d'association et le droit de réunion. J'avais déclaré que ces droits, pas plus que le droit de respirer, de marcher ou de manger, ne devaient être l'objet d'aucune législation spéciale. Dans toute société il existe des lois protectrices qui répriment les crimes et les délits. Si donc, à l'aide de la plume ou de la parole, je commets l'un de ces délits prévus par la loi, je tombe sous le coup de la loi comme tous les autres citoyens, et je suis jugé comme eux par mes pairs. Mais je n'admets pas que l'on puisse entraver la libre expression de ma pensée, la libre discussion des actes publics."

"Il ne faut jamais oublier que le pouvoir est un accident passager pour un parti, quel qu'il soit ; que les vainqueurs du jour sont les vaincus du lendemain, et qu'en dehors du respect du droit et de la justice, il n'y a que chaos, périls et représailles, sans bénéfice sérieux pour la liberté."

"Il y a aussi, dans l'esprit humain, une pente terrible à croire, pour chacun de nous, qu'il possède la vérité absolue, et que quiconque diffère d'avis est un adversaire, un ennemi, un scélérat de la pire espèce. Pour le croyant religieux d'autrefois, quiconque ne priait pas Dieu, en certains termes, à certaines heures, était un hérétique, un misérable indigne de pitié, un être malfaisant, un ennemi de la société et de la divinité qu'il fallait détruire. Pour trop de révolutionnaires, fanatiques aussi à leur façon, quiconque n'approuve pas toute mesure qualifiée par eux de révolutionnaire, fut-elle absurde ou parfaitement inoffensive pour ceux qu'elle prétend atteindre, est un ennemi de la révolution qu'il faut frapper. Révolutionnaires de conviction, de sentiment, de volonté, sinon avec intelligence, par cela seul qu'on les contredit sur un point, ils ne voient plus en vous que leur adversaire et l'adversaire de la révolution. A cet égard, leur raisonnement est limpide et d'une simplicité admirable."

"Est révolutionnaire celui qui veut atteindre un but parfaitement défini qui s'appelle : affranchissement politique et économique du peuple, et triomphe de l'égalité sociale."

"Le gouvernement dit légal avait fui. Derrière lui avaient fui l'armée, la police, l'administration, la magistrature. Plus un seul représentant officiel de la société organisée. Pas même un simple employé ! Vides les ministères, vides les casernes, vides la préfecture de police et la préfecture de la Seine ! Vides les tribunaux, depuis le Cour de cassation jusqu'à l'humble salle de la Justice de Paix ! Vides les mairies, vide l'administration des postes ! Vides les caisses, car tous ces fuyards, tous ces déserteurs, avaient sauvé la caisse et rempli leurs poches ! La table rase la plus complète qu'on ait jamais vue ! Tout ce qui constitue le gouvernement bourgeois, depuis 1789, avait disparu."

"N'oublions, en effet, jamais, que les hommes qui rêvent la société future, qui tentent d'en jeter les bases, sont nés, ont été élevés dans la société actuelle, que ses traditions, ses exemples, son éducation, ont poussé dans chacun de nous des racines difficiles à couper entièrement. N'oublions pas que, dans chacun de nous, il y a deux hommes, dont l'un, l'homme d'hier, résume de longues générations qui lui ont légué avec son sang mille prédispositions, ont donné à son cerveau mille tournures d'esprit, contre lesquelles il doit lutter avec une énergie incessante, s'il ne veut voir la portion originale de ses propres conceptions submergée, annihilée par la portion qu'il a hérité de ses ancêtres, de sa race, du milieu où il a dû se développer."

"Ce n'est point, en effet, je ne saurais trop le répéter, à un organisme politique quelconque de régler autocratiquement ces problèmes : c'est aux intéressés eux mêmes. L'administration collective n'a qu'un rôle : veiller à leur entière liberté d'action, et faire respecter leur droit. Les travailleurs ne demandent pas autre chose, sachant bien qu'ils ne seront réellement libres et affranchis que le jour où leur liberté, leur affranchissement, sera l’œuvre de leur propre initiative, de leurs propres efforts."

"Toutes les sociétés modernes vivent sur la conception d'une autorité supérieure à l'homme, et par conséquent en dehors, au-dessus de la collectivité humaine. A l'époque où la religion dominait, maîtresse des esprits et des choses, cela s'appelait le droit divin. L'autorité était investie d'un caractère sacré. L'obéissance était un devoir, le pouvoir était un sacerdoce. Il ne devait de compte qu'à Dieu, dont il était institué."

"Que le peuple nomme ses prétendus représentants par la voie du suffrage universel, ou qu'il soit gouverné par quelques privilégiés de la naissance ou de la fortune, peu importe. Le peuple n'en est pas moins à la merci de ces représentants, qui, élus ou non, du moment qu'ils entrent dans le pouvoir et deviennent l’État, sont, par le fait  séparés du peuple, en dehors du peuple, au-dessus du peuple, ennemis du peuple."

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