"Voilà, je pense, ce qui se passe : brusquement on sent que le temps s'écoule, que chaque instant conduit à un autre instant, celui-ci à un autre et ainsi de suite ; que chaque instant s'anéantit, que ce n'est pas la peine d'essayer de le retenir, ect... Et alors on attribue cette propriété aux évènements qui vous apparaissent dans les instants ; ce qui appartient à la forme, on le reporte sur le contenu." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Il n' y a jamais de commencements. Les jours s'ajoutent aux jours sans rime ni raison, c'est une addition interminable et monotone. De temps en temps, on fait un total partiel, on dit : voilà trois ans que je voyage, trois ans que je suis à Bouville. Il n' y a pas de fin non plus : on ne quitte jamais une femme, un ami, une ville en une fois." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"La nausée est restée là-bas, dans la lumière jaune. Je suis heureux : ce froid est si pur, si pure cette nuit ; ne suis-je pas moi même une vague d'air glacé ? N'avoir ni sang, ni lymphe, ni chair. Couler dans ce long canal vers cette pâleur là-bas. N'être que du froid." Jean-Paul Sartre (La nausée)
"La misanthropie aussi tient sa place dans se concert : elle n'est qu'une dissonance nécessaire à l'harmonie du tout. Le misanthrope est homme : il faut donc bien que l'humaniste soit misanthrope en quelque mesure. Mais c'est un misanthrope scientifique, qui a su doser sa haine, qui ne hait d'abord les hommes que pour mieux pouvoir ensuite les aimer." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Quand ils auront couché ensemble, il faudra bien qu'ils trouvent autre chose pour voiler l'énorme absurdité de leur existence. Tout de même... est-il absolument nécessaire de se mentir ?" Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Ma pensée, c'est moi : voilà pourquoi je ne peux pas m'arrêter. J'existe parce que je pense... et je ne peux pas m'empêcher de penser. En ce moment même - c'est affreux - si j'existe, c'est parce que j'ai horreur d'exister. C'est moi, c'est moi qui me tire du néant auquel j'aspire : la haine, le dégout d'exister, ce sont autant de manière de me faire exister, de m'enfoncer dans l'existence." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"La vraie nature du présent se dévoilait : il était ce qui existe, et tout ce qui n'était pas présent n'existait pas. Le passé n'existait pas. Pas du tout. Ni dans les choses ni même dans ma pensée." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Et c'était vrai, je m'en étais toujours rendu compte : je n'avais pas le droit d'exister. J'étais apparu par hasard, j'existais comme une pierre, une plante, un microbe. Ma vie poussait au petit bonheur et dans tous les sens. Elle m'envoyait parfois des signaux vagues ; d'autres fois je ne sentais rien qu'un bourdonnement sans conséquence." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"On ne pouvait même pas se demander d'où ça sortait, tout çà, ni comment il se faisait qu'il existât un monde, plutôt que rien. Çà n'avait pas de sens, le monde était partout présent, devant, derrière. Il n'y avait rien eu avant lui. Rien. Il n'y avait pas eu de moment où il aurait pu ne pas exister." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"C'était impensable : pour imaginer le néant, il fallait qu'on se trouve déjà là, en plein monde et les yeux grands ouverts et vivant ; le néant ça n'était qu'une idée dans ma tête, une idée existante flottant dans cette immensité : ce néant n'était pas venu avant l'existence, c'était une existence comme une autre et apparue après beaucoup d'autres." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Je rêvais vaguement de me supprimer, pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eut été de trop. De trop, mon cadavre, mon sang sur ces cailloux, entre ces plantes, au fond de ce jardin souriant. Et la chair rongée eût été de trop dans la terre qui l'eût reçues et mes os, enfin, nettoyés, écorcés, propres et nets comme des dents eussent encore été de trop ; j'étais de trop pour l'éternité." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Je compris qu'il n'y avait pas de milieu entre l'inexistence et cette abondance pâmée. Si l'on existait, il fallait exister jusque-là, jusqu'à la moisissure, à la boursouflure, à l’obscénité. Dans un autre monde, les cercles, les airs de musique gardent leurs lignes pures et rigides. Mais l'existence est un fléchissement." Jean-Paul Sartre (La Nausée)
"Cette nature qui se préparait à le reprendre, il allait la chercher sur les cimes, dans les vagues, au milieu des étoiles, à la source de ma jeune vie, pour pouvoir l'embrasser toute entière et tout en accepter, jusqu'à la fosse qui s'y creusait pour lui. Ce n'était pas la vérité, c'était sa mort qui lui parlait par ma bouche." Jean-Paul Sartre (Les mots)
"Je suis là, je me déguste, je sens le vieux goût de sang et d'eau ferrugineuse, mon goût, je suis mon propre goût, j'existe. Exister, c'est ça : se boire sans soif." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Il y avait ça : ces enfants qui couraient en désordre, les mêmes depuis cent ans, ce même soleil sur les reines de plâtre aux doigts cassés et tous ces arbres ; il y avait Sarah et son kimono jaune, Marcelle enceinte, l'argent. Tout ça était si naturel, si normal, si monotone, ça suffisait à remplir une vie, c'était la vie." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"La liberté, c'est son jardin secret. Sa petite connivence avec lui-même. Un type paresseux et froid, un peu chimérique mais très raisonnable au fond, qui s'est sournoisement confectionné un médiocre et solide bonheur d'inertie et qui se justifie de temps en temps par des considérations élevées. Est-ce que c'est ça que je suis ?" Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Il n'était certes pas au meilleur de lui-même : il croupissait dans cette chaleur morne, il subissait l'antique et monotone sensation du quotidien : il avait beau se répéter les phrases qui l'exaltaient autrefois : Être libre. Être cause de soi, pouvoir dire : je suis parce que je le veux ; être mon propre commencement. C'étaient des mots vides et pompeux, des mots agaçants d'intellectuel." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Quelque chose s'apprêtait à naitre, une timide aurore de colère. Ça y est ! Mais ça se dégonfla, ça se raplatit, il était désert, il marchait à pas comptés avec la décence d'un type qui suit un enterrement à Paris, pas à Valence, à Paris, hanté par un fantôme de colère." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Pourquoi n'ai-je pas eu envie d'aller me battre ? Est-ce que j'aurais pu choisir un autre monde ? Est-ce que je suis encore libre ? Je peux aller où je veux, je ne rencontre pas de résistance mais c'est pis : je suis dans une cage sans barreaux, je suis séparé de l'Espagne par... par rien et cependant, c'est infranchissable." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Si du moins il avait pu trouver en lui une petite émotion bien vivante et modeste, consciente de ses limites. Mais non : il était vide, il y avait devant lui une grande colère, une colère désespéré, il la voyait, il aurait pu la toucher. Seulement elle était inerte, elle attendait pour vivre, pour éclater, pour souffrir, qu'il lui prêtât son corps. C'était la colère des autres." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Un homme aux muscles puissants et un peu noués, qui pensait par courtes vérités sévères, un homme droit, fermé, sûr de soi, terrestre, réfractaire aux tentations angéliques de l'art, de la psychologie, de la politique, tout un homme, rien qu'un homme. Et Mathieu était là, en face de lui, indécis, mal vieilli, mal cuit, assiégé par tous les vertiges de l'inhumain : il pensa : moi, je n'ai pas l'air d'un homme." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Sa solitude était si totale, sous ce beau ciel, doux comme une bonne conscience, au milieu de cette foule affairée, qu'il était stupéfait d'exister; il devait être le cauchemar de quelqu'un, de quelqu'un qui finirait bien par se réveiller." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"La méchanceté, c'était cette extraordinaire impression de vitesse, on se détachait soudain de soi-même et on filait en avant comme un trait; la vitesse vous prenait à la nuque, elle augmentait de minute en minute, c'était intolérable et délicieux, on roulait freins desserrés, à tombeau ouvert, on enfonçait de faibles barrières qui surgissaient à droite, à gauche, inattendues [...] et qui cassaient net, comme des branches mortes, et c'était enivrant cette joie transpercée de peur, sèche comme une secousse électrique, cette joie qui ne pouvait s'arrêter." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Soudain, Mathieu s'ouvrit mollement comme une blessure; il se vit tout entier, béant : pensée, pensées sur des pensées, pensées sur des pensées de pensées, il était transparent jusqu'à l'infini et pourri jusqu'à l'infini." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Je ne sais pas souffrir, je ne souffre jamais assez. Ce qu'il y avait de plus pénible dans la souffrance, c'est qu'elle était un fantôme, on passait son temps à lui courir après, on croyait toujours qu'on allait l'atteindre et se jeter dedans et souffrir un bon coup en serrant les dents mais, au moment où l'on y tombait, elle s'échappait, on ne trouvait plus qu'un éparpillement de mots et des milliers de raisonnements affolés qui grouillaient minutieusement [...]" Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Elle
était morte. Sa conscience s'était anéantie. Mais non sa vie.
Abandonnée par la bête molle et tendre qui l'avait si longtemps habitée,
cette vie déserte s'était simplement arrêtée, elle flottait, pleine de
cris sans échos et d'espoirs inefficaces, d'éclats sombres, de figures
et d'odeurs surannées, elle flottait en marge du monde, entre
parenthèses, inoubliable et définitive, plus indestructible qu'un
minéral et rien ne pouvait l'empêcher d'avoir été, elle venait de subir
son ultime métamorphose : son avenir s'était figé." Jean-Paul Sartre
(L'âge de raison)
"Hier encore, obscur et chancelant, il attendait son sens de l'avenir, hier encore elle pensait qu'elle allait vivre et que Boris l'aimerait un jour ; les moments les plus pleins, les plus lourds, les nuits d'amours qui lui avaient paru les plus éternelles n'étaient que des attentes." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Il n'y avait plus rien eu à attendre : la mort était revenue en arrière sur toutes ces attentes et les avait arrêtées, elles restaient immobiles et muettes, sans but, absurdes. [...] il n'y avait plus rien que des attentes d'attentes, plus rien qu'une vie dégonflée aux couleurs brouillées, qui s'affaissait sur elle-même." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Hier encore, obscur et chancelant, il attendait son sens de l'avenir, hier encore elle pensait qu'elle allait vivre et que Boris l'aimerait un jour ; les moments les plus pleins, les plus lourds, les nuits d'amours qui lui avaient paru les plus éternelles n'étaient que des attentes." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Il n'y avait plus rien eu à attendre : la mort était revenue en arrière sur toutes ces attentes et les avait arrêtées, elles restaient immobiles et muettes, sans but, absurdes. [...] il n'y avait plus rien que des attentes d'attentes, plus rien qu'une vie dégonflée aux couleurs brouillées, qui s'affaissait sur elle-même." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Cet infime fragment de vie béate, il savait bien qu'on le lui prêtait seulement, et qu'il faudrait le rendre tout à l'heure, mais il en profitait sans âpreté : aux type foutus, le monde réserve encore beaucoup d'humbles petits bonheurs, c'est même pour eux qu'il garde la plupart de ses grâces passagères, à la condition qu'ils en jouissent modestement." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Autour de lui les choses s'étaient groupées en rond, elles attendaient sans faire un signe, sans livrer la moindre indication. Il était seul, au milieu d'un monstrueux silence, libre et seul, sans aide et sans excuse, condamné à décider sans recours possible, condamné pour toujours à être libre." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Les rues se sont vidées comme par un trou d'évier ; quelque chose qui les remplissait encore tout à l'heure s'est englouti. Les choses sont demeurées là, intactes, mais leur gerbe est défaite, elles pendent du ciel comme d'énormes stalactites, elles montent de terre comme d'absurdes menhirs." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Le corps tourne sur la droite, il plonge dans un gaz lumineux et dansant au fond d'une gerçure crasseuse, entre les blocs de glace rayés de lueurs. Des masses sombres se traînent en grinçant. A hauteur des yeux, des fleurs poilues se balancent. Entre ces fleurs, au fond de cette crevasse, une transparence glisse et se contemple avec une passion glacée." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
"Déjà des morales éprouvées lui proposaient discrètement leurs services : il y avait l'épicurisme désabusé, l'indulgence souriante, la résignation, l'esprit de sérieux, le stoïcisme, tout ce qui permet de déguster minute par minute, en connaisseur, une vie ratée." Jean-Paul Sartre (L'âge de raison)
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